DNAP

L’Espace Clos : lieux d’habitation,

d’observation et de relation

Dossier de préparation au passage de diplôme de DNAP
Svetlana ZEHNDER, Ecole Européenne Supérieur de l’Image de Poitiers, 2012

Sommaire

– Introduction

Autoportrait en malade par d’autre : la relation entre observé et observateur

Prison de verre : la danse comme exploration de l’espace, l’openspace et la surveillance

UNION : la danse soumise à la contrainte de l’espace, le délire de fusion avec l’autre

Hi, dance ! : le langage corporel réduit à l’image, la mise en relation d’espaces distincts par la projection

– Conclusion

– Notes

– Bibliographie

Introduction

Lors de ma première année, j’ai particulièrement travaillé avec des maquettes et la mise en relation de ces représentations d’espace avec du son. La maquette était une amorce de mon travail sur l’espace clos, le lieu que j’habite et l’observation. Si au début mon travail était surtout axé sur la perception de cet espace j’ai glissé au fil de mes travaux et recherches sur l’habitation d’un lieu. Une habitation sous-entend la présence humaine, un vécu et une histoire du lieu. Et la présence humaine peut aboutir à des rencontres, des histoires et des liens.

L’espace clos est un espace souvent restreint ou bien clôturé. Il est limité, contraint, et souvent associé à une notion de danger. Ces lieux clos sont aussi les lieux dont l’architecture est liée au panoptisme : collège, hôpitaux, usine, prison, etc. Et donc lié à une notion de surveillance, d’observation et de discipline.

Dans mes travaux j’aborde d’une part l’espace clos et l’observation à travers le couple observé/observateur, la notion d’espace comme étendue à habiter par le corps et les relations humaines possibles.

Autoportrait en malade par d’autre : la relation entre observé et observateur

La pièce autobiographique, dont le nom est Autoportrait en malade par d’autres, est une installation audiovisuelle qui présente d’une part une boucle vidéo et d’autre part une boucle sonore. Sur la vidéo l’on voit le visage d’une enfant se balançant au ralenti et nous regardant par moment. Cet enfant c’est moi malade. La bande sonore est une courte fiction composée de diverses voix parlant du moment de ma maladie et appartenant à des personnes m’ayant connue de manière plus ou moins proche à cette époque.

L’idée de cette pièce était de dresser mon propre portrait au travers des témoignages de gens m’ayant plus ou moins côtoyée malade.  Cette idée m’est venue en comparant mes souvenirs avec ceux de ma mère, ils étaient complètement différents. Alors pour savoir qui j’étais je suis allée à la rencontre d’autres personnes avec toujours la même question : « de quoi vous vous souvenez me concernant quand j’étais malade ».  Le film utilisé est extrait d’un documentaire réalisé à cette même époque et tourné dans l’enceinte même de l’hôpital. La rupture entre le visage innocent et inconscient de l’enfance avec les propos de la maladie est accentuée par le ralenti de l’image. L’image est belle, elle séduit mais les propos sont lourds autour de la maladie et de la mort, c’est la différence entre ce que l’on voit et ce que l’on entend, entre ce que j’ignorais avant et ce que je sais maintenant.

Dans ce travail, comme Sophie CALLE, je mets en relation des images et du texte, ici une vidéo avec du texte sous forme sonore. Comme il lui arrive à elle aussi, aucun de ces textes ou images ne m’appartient en premier lieu. L’acte d’auteur vient par leur mise en relation des éléments. Comme elle aussi c’est une pièce ancrée dans mon histoire qui interroge directement l’affect. Cependant la maladie et l’enfance sont commun à tout le monde mais les souvenirs sont uniques à chacun1 c’est aussi ce dont je voulais parlé dans cette pièce. Pour ce qui est de nos approches, Sophie Calle pose des règles de procédure qui, dans la situation, vont créer une fiction, l’exemple de Filature illustre ce processus. Dans ce travail elle confronte son histoire avec celle d’un détective prié engagé par sa mère pour la suivre, cependant seuls les photos et texte du détective sont présentés. L’acte artistique de Sophie Calle est le concept. Dans mon cas je ne souhaite pas confronter pas deux visions, mais les recouper afin de trouver une possible vérité qui soit le mélange de toutes les mémoires.

D’autre part j’ai aussi voulu travaillé sur ce sujet en me rendant dans l’hôpital où j’ai été soigné. En marchant dans le couloir divers souvenirs me sont revenus. La première forme de cette installation présentée une maquette de couloir, mais au final je me suis rendu compte que plus que la représentation du lieu c’était la déambulation dans ce lieu qui m’avait rappelé ces souvenirs. Je pense que c’est aussi ce qui m’a conduit à la deuxième partie de mon travail qui s’est mise en place récemment et où j’habite physiquement les lieux.

Prison de verre : la danse comme exploration de l’espace, l’openspace et la surveillance

Dans une installation vidéo, Prison de verre, je présente deux films muets de la même improvisation dansée. Ces films sont joués de manière synchronisés et présenté sur des moniteurs posés sur une table côte à côte. Sur ces films je performe avec une étudiante en danse du conservatoire dans les locaux de la scène national de Poitiers. Le patio est un lieu particuliers puisqu’en dansant en son centre l’on peut-être observé de tous les côtés mais aussi par le haut, alors que l’on se trouve au cœur même du bâtiment. Nous avons improvisée sur silence. La contrainte de l’improvisation était de se sentir enfermées avec pour seule échappatoire une ouverture sur le ciel.

C’est la multiplicité des possibilités de point de vue qui m’a intéressée. Je voulais filmer une danse avec différents points de vue mais en restant dans la position d’observateur, d’où les plans fixes présentés en même temps. La forme peut faire penser à l’observation mais plus dans le sens de surveillance, double écran posé sur une table, tout comme la multiplicité des points de vue. Il est évident que cela renvoie dans ce qu’à la à la vision panoptique puisque nous étions dans « un état conscient et permanent de visibilité »2. Cependant la vision panoptique renvoie à la prison et plus généralement à la société disciplinaire. Or j’habite cet espace par la danse qui est une expression de liberté ou un moyen de lutter contre la folie. Si l’on parle de liberté, elle est pourtant contredite par l’architecture vitrée et close du lieu, nous sommes enfermées dans un bocal et où que nous allions nous sommes surveillés. Si l’on parle de folie, l’architecture permettant une observation total de nos agissement renvoie au hôpitaux psychiatrique. Cependant le lieu est ici plus un contre-pied du Panopticon décrit par Bentham dans son architecture, puisque c’est le centre qui est vu et observé par la périphérie et non l’inverse.

Bruce NAUMAN dans ces installations utilisant le principe la vidéo  surveillance Violent Incident en 1986 l’utilise entre autre car la multiplicité des écrans fait prendre du recul sur les faits filmés. Et s’il filme des violences entre personne, pour ma part j’utilise une technique poussant au recul pour filmer de la danse qui normalement appelle à être prêt du corps, à un travail sur le corps. Or ce qui m’intéresse dans la danse plus que le travail du corps c’est le traitement, l’occupation de l’espace. Afin de se détacher des corps et entré dans l’espace la présentation sur double écran s’est imposée. D’autre part la mise en relation de ces deux films qui sont à la fois très semblables et différents peut faire référence aux travaux de Félix Gonzales-Torres comme Untittled (Perfect Lovers) en 1991 qui présente deux horloges identiques et réglées de manière identique.

Comme je l’évoquais il était possible de surveiller nos mouvements par les vitres, la périphérie, mais aussi par le ciel.

UNION : la danse soumise à la contrainte de l’espace, le délire de fusion avec l’autre

UNION est une vidéo de commande. Une vidéo d’habillage pour une façade qui peut être bouclée. J’apparais avec la danseuse du conservatoire, les rushs étant ceux de la même improvisation que pour Prison de verre mais filmés cette fois-ci par le ciel. La boucle commence et nous apparaissons allongées ou debout, selon les sensibilités. Nous nous déplaçons ensuite vers l’espace extérieur avant de revenir sur l’intérieur, de ne former qu’un corps, puis de revenir à nos positions de départ par un système de ping-pong de la vidéo. L’image est en noir et blanc avec un contraste très fort, les corps se détachent nettement du fond en parquet, sans ombre.

Il y a un jeu d’espace que j’ai voulu mettre en place. Si au départ nous semblons appartenir au même espace, lorsque nous nous retrouvons au centre nous fusions pour ne former qu’un corps. C’est une rencontre entre deux personnes qui se cherchent pour former un tout mais qui se retrouve finalement à être elles-mêmes. C’est le délire de fusion avec l’autre et cette recherche de sa propre construction chez l’autre dont j’ai voulu parler, et que j’ai sans doute ressenti lors de la performance. J’apparais sur cette vidéo et il est évident que je ne suis pas une danseuse dans la qualité des gestes. Je copie, m’inspire de la danseuse mais avec des gestes moins dessinés avant de ne pouvoir être elle et revenir à moi. En parlant de dessin il est aussi visible qu’ici la danse est contrainte dans l’espace sur un seul plan. Nous performons couché, d’où les gestes un peu pesant et l’absence de sol, et la danse ne s’effectue que sur le même plan avec une image très lisse sans profondeur. Le parti pris était celui du mouvement, du dessin des corps dans l’espace. De plus la transposition d’un espace horizontal, celui où l’on a performé, à un espace plan vertical, celui de la façade, était quelque chose que je voulais interroger dans le mouvement dansé comme peut le faire Kitsou DUBOIS dans ses recherches avec l’apesanteur ou Trisha BROWN avec Man Walking Down the Side of a Building en 1970.

La question de l’improvisation pour cette performance se pose puisque le manque de chorégraphie est flagrant. Je ne suis ni chorégraphe, ni danseuse, de plus nous n’avions jamais travaillé ensemble et je suis d’accord avec Akram KHAN « improviser permet de créer des expérience nouvelle plutôt que de recommencer ce que l’on a déjà fait chacun de son côté. C’est là que la conversation commence. »3. Ce langage commun du corps a été le point de départ de la pièce que j’ai présenté lors du festival [à corps].

Hi, dance ! : le langage corporel réduit à l’image, la mise en relation d’espaces distincts par la projection

Dans l’installation performative Hi,dance ! deux espaces clos différents sont mis en relation par de la vidéo en flux direct. Dans chaque espace les personnes y entrant sont filmés plein pied et projetés sur un mur de l’autre espace à échelle un. L’un des espace, l’espace du performeur, est neutre : noir avec éclairage neutre. L’autre espace, celui du spectateur, se réfère à l’ambiance des boîte de nuit : noir ou blanc avec éclairage coloré répondant à la musique qui elle même fait référence à ce genre d’ambiance.

Le but est de mettre en relation deux espaces distincts via l’image des personnes se trouvant dans ses espaces.  Le performeur doit part l’image de son corps inviter le spectateur, se trouvant dans l’autre espace à danser avec lui. L’image du corps suffit-elle au langage corporel ?  C‘est l’une des questions que soulève cette pièce. Comment puis-je rentrer en interaction avec quelqu’un dont la présence n’est qu’une image ? C’est aussi une question qui se pose de plus en plus avec les sites internet de rencontre. Il y avait aussi comme enjeux dans cette pièce de faire danser un public qui ne venait que pour voir de la danse. De part son côté ludique c’est une pièce qui a fonctionné au près de tous les publics et qui a reçu de bons retours.

J’ai tendance à me référer à Jérôme BEL  avec  The show must go on lorsqu’il la présente à la Biennale de Lyon en 2007, pour ce travail dans le sens où j’ai voulu modifier le comportement du public et l’invité à prendre une part active dans l’œuvre, s’il ne danse pas l’installation ne peut évoluer. Si dans son travail Step to step Thierry Fournier nous invite à interagir avec un coach en vidéo la vidéo est ici pré-enregistré et le jeu se fait plus sur la lecture de cette vidéo en fonction de la faisabilité ou non des exercices, puisque l’image se ralentie et gèle lorsqu’on utilise la marche pour suivre l’entraîneur. S’il nous emmène à bouger dans l’espace ce n’est pas dans un dialogue avec le coach mais plus sur un questionnement de notre obéissance aux ordres malgré leur infaisabilité «dans la double contrainte d’une imitation impossible »4. Dans mon cas c’est le dialogue, la mise en relation des deux espaces par l’échange virtuel qui m’intéresse réellement. Comment en étant dans des espaces réels différents je peux avoir un échange avec l’autre ? Quel pont entre ces deux espaces l’image crée-t-elle ?

Conclusion

Ces travaux présentent donc comme point commun le traitement d’un espace : espace du souvenir, espace que j’habite, espace qui m’enferme.  Le point commun de ces espaces est qu’ils sont toujours clos : l’hôpital, le patio et la boîte de nuit. Ce sont aussi des espaces qui se prêtent à l’observation : observation du patient, open-space, système de téléprésence, mais aussi à une forme d’habitation.  De plus la relation des gens dans ses espaces semble être un autre pont entre mes travaux : rapport entre observateur et observé pour la première pièce, la relation qui se met en place dans la seconde entre moi et la danseuse, l’utopie de fusion dans la troisième et le dialogue par l’image du corps dans la quatrième. C’est sans doute cette articulation entre l’espace, l’observation et les relations humaines qui est au cœur de mon travail et qui m’interroge. Et c’est sans doute ce pourquoi j’ai envie de travailler autour du tango argentin qui pour moi présente toutes ses caractéristiques là. Pratiquant le tango argentin j’y ai vu  des  points communs avec les  relations humaine : invitation par le regard, premier contact, l’abrazo ou l’étreinte, l’écoute et la séparation. Mais aussi comme un lieu  clos  dans l’abrazo justement qui lie le couple et le distingue  des  autres, qui est unique pour chaque couple, se modifie et évolue  dans la  danse tout en restant fermé. Quand à l’habitation de  l’espace, il y  a donc cet espace de l’abrazo mais aussi l’espace  de la piste de  danse.

Notes :

1 – Saint Augustin, La Création du monde et le Temps suivie par Le Ciel et la Terre, Ed. Gallimard, 1993,  p.43 « Ainsi lorsqu’on nous raconte des choses passées, si on les rapporte selon la vérité, on les tire de la mémoire, non pas les choses mêmes qui sont passées, mais les paroles qu’on a conçues des images de ces mêmes choses, qui en passant par nos sens ont imprimé dans notre esprit comme leurs traces et leurs vestiges. »

2 – Michel Foucault, Surveiller et punir, Ed. Gallimard, 1975, p.202 «  […] Le Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. »

3 – Akram Khan, dans un documentaire sur sa création avec Juliette BINOCHE, In-I, 2012 à L’actrice et le danseur du mercredi 23 mai 2012 à 00h40 è http://www.pluzz.fr/l-actrice-et-le-danseur-2012-05-23-00h40.html

4 – Thierry Fournier dans son texte de présentation de l’œuvre sur son propre site. à http://www.thierryfournier.net/step-to-step/

 

Bibliographie :

Monographie et livre d’artiste

Sophie Calle, Histoires Vraies +dix, Ed. Acte Sud, 2001
Sophie Calle M’as-tu vue ?,
Ed. Xavier Barral, Centre Georges Pompidou, 2003

Dan Graham, Ed. Haidon, 2001
Dan Graham 1965 œuvre 2000
, Ed. M Arc M
Dan Graham by Dan Graham
, Ed. Hardcover, 2003-2004

Bruce Nauman Sculpture et installation 1985-1990, Ed. Musée cantonal des Beaux Arts, Lausanne, 1991
Bruce Nauman Image/Texte 1966-1996
, Ed. Centre Georges Pompidou, 1997

Critique d’art et catalogue d’exposition

Françoise Parfait, Vidéo : un art contemporain, Ed. du Regard, 2001

Anne-Marie Duguet, Déjouer l’image,Ed. Jacqueline Chambon, 2002

Danser sa Vie : Art est Danse de 1900 à nos jour [Broché], Ed. Centre Georges Pompidou, 2011

Culture générale

Jean-Paul Sartre, Huis Clos, Ed. Gallimard, 1947
Sartre
, Ed. Bibliothèque nationale de France/Gallimard, 2005

Michel Foucault, Surveiller et punir, Ed. Gallimard, 1975

Saint Augustin, La Création du monde et le Temps suivie par Le Ciel et la Terre, Ed. Gallimard, 1993

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